Le tact et la mesure dans la fixation des hororaires

 

Résumé


Si, depuis Hippocrate, la notion de tact et de mesure dans la fixation, par le médecin, de ses honoraires a toujours existé, l’avènement de l’assurance maladie, et avec elle, celui des tarifs opposables, a pu faire oublier aux médecins le sens de ces deux mots.

Cette notion a cependant été maintenue dans le Code de Déontologie et rappelée dans les conventions successives en raison des possibilités prévues de dépassement.

Quatre éléments permettent au médecin de mesurer et de justifier le niveau des honoraires demandés.

Il s’agit :

  • De la notoriété
  • Du temps passé et de la complexité de l’acte
  • Du service rendu
  • Des possibilités financières du patient


La jurisprudence tirée des décisions des différentes  instances appelées à statuer sur ce sujet, n’a jamais défini d’éléments chiffrés, appréciant cette notion au cas par cas, comme l’a toujours recommandé le Conseil National de l’Ordre des Médecins.

Introduction

Un certain nombre de médecins ont la possibilité de fixer eux-mêmes le niveau de leurs honoraires.

C’est le cas des médecins non conventionnés, mais c’est aussi le cas pour les médecins conventionnés du secteur1 lorsqu’ils sont encore titulaires du droit permanent à dépassement (DP), lorsqu’ils appliquent un dépassement pour exigence particulière du patient (DE) ou lorsqu’ils exécutent un acte hors nomenclature.

C’est, enfin, toujours le cas pour les médecins à honoraires différents (secteur 2).
 

Historique de la notion de tact et de mesure

Depuis l’origine de l’art médical, la rémunération des médecins s’est faite sous forme d’honoraires ou de rétribution fixée gré à gré entre le médecin et son patient.
Dans le serment attribué à Hippocrate, il y a 2.500 ans, et que tout médecin prononce le jour de sa thèse, on peut lire : « … je donnerai mes soins gratuits à l’indigent, et je n’exigerai jamais un salaire au-dessus de mon travail… que les hommes m’accordent leur estime si je suis fidèle à mes promesses ! Que je sois couvert d’opprobre et méprisé de mes confrères si j’y manque ».

Dès le premier Code de Déontologie élaboré en exécution de la loi d’Octobre 1940, créant l’Ordre des Médecins, remplacé par celui issu de l’ordonnance de Septembre 1945, et auxquels ont succédé les rédactions de 1955 (article 40), de 1979 (article 70) et enfin l’actuel Code de Déontologie publié en Octobre 1995 (article 53), la notion de tact et de mesure dans la fixation des honoraires a toujours été présente.

C’est ainsi que l’article 53 dispose en son premier alinéa : « Les honoraires du médecin doivent être déterminés avec tact et mesure, en tenant compte de la règlementation en vigueur, des actes dispensés ou de circonstances particulières… ».

Avec la création de l’assurance maladie, ces honoraires sont devenus des tarifs opposables au médecin conventionné, et dont le montant est un des éléments de la négociation conventionnelle.

On aurait pu croire, avec l’avènement de ces tarifs, que la notion de tact et de mesure allait disparaître.
Or, à la lecture des conventions successives entre les caisses d’assurance maladie et les médecins, on remarque que cette notion de tact et de mesure, dans la fixation des honoraires, y figure toujours en raison d’un certain nombre de droits à dépassement.
 

Comment définir ces notions de « tact et de mesure »

Si nous prenons les définitions du dictionnaire Robert, nous trouvons :

Tact : Appréciation intuitive, spontanée et délicate de ce qu’il convient de faire ou d’éviter dans les relations humaines ».

Mesure : Appréciation de la valeur de l’importance d’une chose et aussi modération dans le comportement ».

Nous remarquons tout de suite qu’il s’agit là de deux définitions faisant appel à « l’appréciation » qui est une notion éminemment subjective.

C’est avec tact que le médecin appréciera les possibilités financières de son patient.
Il devra le faire de façon intuitive, spontanée et délicate.
Intuitive et délicate, cela exclut, comme certains ont pu le prétendre, par dérision, de demander au malade sa feuille d’impôts.

Cela implique, de la part du médecin, suffisamment de psychologie et de délicatesse pour faire une juste appréciation du niveau social et économique de la personne qui le consulte.

Celle-ci devra être spontanée, ce qui ne veut pas dire rapide, car il existe bien des misères cachées qu’il faut savoir déceler.
Une telle approche interdit, on en conviendra volontiers, tout caractère systématique, donc foncièrement injuste, de la majoration, ce qui est actuellement et malheureusement trop souvent, pour ne pas dire toujours, le cas.

C’est aussi avec mesure que le médecin fixera la valeur du service rendu.
Une première consultation un premier interrogatoire, un premier examen nécessitent une attention, une disponibilité dans la lecture des documents, l’interprétation des résultats, enfin la reprise sur dossier de tous ces éléments.

Ce sont tous ces gestes qui justifieront la rémunération.
Il n’en sera plus de même lors d’une consultation de surveillance ou à l’occasion d’un examen de routine.
On voit donc que ces deux éléments pourront rendre la rémunération variable selon les actes et les circonstances.

Celle-ci devra donc être modulée entre les patients et pour un même patient suivant les circonstances et le caractère de l’acte médical.
Une telle attitude est un retour à ce qui était autrefois la grandeur et les servitudes de l’exercice médical, en particulier dans la fixation des honoraires.

Si, comme nous l’avons déjà remarqué avec la création des organismes d’assurance maladie, les honoraires sont devenus des tarifs, le plus souvent opposables, être encore titulaire du DP ou choisir le secteur 2, c’est revenir aux honoraires stricto sensu en engageant sa responsabilité personnelle dans leur fixation et en sachant qu’ils doivent faire l’objet d’une information de la clientèle et éventuellement d’une négociation de gré à gré ou entente directe.
 

Appréciation et surveillance de l’application du tact et de la mesure

S’agissant d’une obligation déontologique, il appartient à la section disciplinaire du Conseil de l’Ordre des Médecins d’apprécier et de surveiller la légitime application du tact et de la mesure.

Nous verrons aussi que les comités médicaux paritaires locaux, instances conventionnelles, ont aussi pour mission d’apprécier le respect du tact et de la mesure.
 

Rôle du Conseil de l’Ordre

Cette obligation déontologique est inscrite dans le Code à l’article 53, et tout manquement est passible de poursuites devant les Section Disciplinaire du Conseil Régional de l’Ordre si la plainte émane du Conseil Départemental, d’un malade ou de toute autre personne habilitée à la faire (art. L.417 du Code de la Santé).

Le respect du tact et de la mesure n’est devenu que secondairement, une règle conventionnelle.
Dès lors, il apparaît que la Section Disciplinaire en demeure le juge naturel, même si les textes ont prévu que la Section des Assurances Sociales peut également être saisie de manquements à cette obligation.
 

Rôle de l’assurance maladie

Lors de la première convention de Mai 1960, des autorisations de dépassement étaient prévues pour situation de fortune aisée de l’assuré (DF), pour notoriété du praticien (DN) ou pour exigence particulière du malade (DE).

Lors de la convention nationale de Novembre 1971, le DE persistait, le DF disparaissait et le DN devenait Droit Permanent à Dépassement (DP).

Depuis la convention de 1980, le DE est toujours maintenu, mais le DP est fermé et un secteur à honoraires libres a été créé, le secteur 2 appelé maintenant secteur à honoraires différents.

La convention de 1993 était, dans ce domaine, identique à celle de 1980.

Avec les conventions de 1997, c’est dans les dispositions générales communes aux généralistes et spécialistes que figure l’article 10 consacré aux tarifs.

Celui-ci prévoit trois possibilités de dépassement :

  • Pour circonstances exceptionnelles de temps ou de lieu dues à une exigence particulière du malade : DE
  • Application du droit permanent à dépassement (DP) pour des médecins qui en sont titulaires
  • Application d’honoraires différents…


Cet article se termine ainsi : dans les trois situations précédentes, le médecin fixe ses honoraires avec tact et mesure, conformément aux obligations qui résultent du Code de Déontologie.
Le Comité Médical Paritaire local est compétent pour connaître des éventuels abus d’usage de ces droits à dépassement.

Il est prévu, dans le chapitre VII consacré au non-respect des dispositions conventionnelles, article 45 pour les généralistes et article 40 pour les spécialistes, en cas de non-respect du tact et de la mesure : « Suspension du droit permanent à dépassement ou suspension du droit de pratiquer des honoraires différents, cette mesure ne pouvant être prononcée qu’en cas de non-respect du tact et de la mesure après décision du Conseil de l’Ordre ou en cas d’abus du droit conventionnel à dépassement, constaté par les partenaires conventionnels ».

Certains peuvent s’étonner de ce droit de regard que s’arroge la sécurité sociale alors qu’il s’agit de majoration d’honoraires sur laquelle elle n’intervient pas.

Mais les organismes d’assurance maladie considèrent qu’il est de leur mission de faire en sorte que les assurés et leurs ayants-droits puissent bénéficier de soins de qualité, accessibles à tous et au meilleur coût.

Après l’annulation des conventions nationales du 28 Mars 1997, le règlement minimal conventionnel, publié au Journal Officiel le 12 Juillet 1998, a repris la notion de tact et de mesure et énoncé les sanctions en cas de violation de cette règle.
 

Influence des assurances complémentaires

Qu’elles soient gérées par des compagnies d’assurance ou des mutuelles, un certain nombre d’assurances complémentaires proposent, dans leur contrat, une prise en charge des dépassements d’honoraires jusqu’à deux ou trois fois le tarif conventionnel, et même pour certains, sans aucune limite.

A l’évidence, ces types de contrats peuvent être à l’origine de demande de dépassement sans aucun tact ni mesure, car c’est l’assureur qui paie.
Cette situation fait, bien entendu, perdre complètement cette notion de tact et de mesure, d’autant plus que les honoraires sont parfois fixés en fonction du niveau de garantie complémentaire dont bénéficie l’assuré.

Si les motivations de tels contrats sont respectables, il faut bien reconnaître que c’est, là encore, et comme dans d’autres domaines, une des perversions entraînées par le principe de subroger l’assureur à l’individu.
 

Limites du dépassement et information des patients

L’Ordre National des Médecins a été souvent sollicité, tant par les médecins bénéficiaires d’un droit à dépassement que par ceux siégeant sans les instances ordinales ou conventionnelles, afin de définir les limites au-delà desquelles la notion d’abus d’honoraires, ou de non-respect du tact et de la mesure, pourrait être retenue.

Il est évident que ces limites sont difficiles à établir si l’on ne veut pas créer une deuxième catégorie de tarifs, comme certains le souhaiteraient, mais qui aurait l’inconvénient d’être contraire à l’esprit et au texte du tact et de la mesure.

En effet, comme nous l’avons vu, les éléments à retenir sont de quatre ordres :

  • Le premier relève de la notoriété du praticien pratiquant l’acte.
  • Le second, de la valeur de l’acte qui peut être mesurée simplement en temps passé, mais aussi en complexité de l’examen clinique ou technique.
  • Le troisième du service rendu, apprécié non par le patient, car il est à cet égard très mauvais juge, mais par le médecin en son âme et conscience.

Rappelons-nous cependant qu’au siècle dernier, bien des médecins abandonnaient leurs honoraires si le malade décédait ! Il faut dire qu’à la même époque, la médecine était une profession qu’il était impensable d’exercer si on n’avait pas de fortune personnelle.

  • Le quatrième élément concerne les possibilités financières du patient. Nous avons vu, lors de l’analyse du tact et de la mesure, combien cet élément, qui peut être parfois être difficile à apprécier, est la pierre angulaire de cette notion.


Enfin, le niveau d’honoraires envisagé doit faire l’objet d’une information préalable du patient afin de la notion de « gré à gré », qui signifie, faut-il le rappeler, « en se mettant d’accord », soit respectée.

A cet égard, l’arrêté du 9 Juin 1996, relatif à l’information sur les tarifs d’honoraires pratiqués par les médecins libéraux, est tout à fait explicite.
En effet, la situation des médecins vis-à-vis de la convention et les niveaux d’honoraires envisagés en cas de droit à dépassement ou de non convention, doivent faire l’objet d’une information préalable du patient par voie d’affichage dans la salle d’attente et de réponses aux demandes formulées.

Pour ce qui concerne les honoraires des médecins autorisés à dépassement, le texte parle de « fourchettes d’honoraires » pour les prestations couramment pratiquées par le médecin.
 

Jurisprudence et importance du dépassement

A plusieurs reprises, les organismes d’assurance maladie ont tenté de définir eux-mêmes, ou de faire définir par la jurisprudence, les niveaux de dépassement qui seraient considérés comme acceptables.

C’est ainsi qu’une caisse primaire avait décidé de faire signer par les médecins un engagement écrit sur le montant de leur dépassement ne devant pas dépasser le double des honoraires conventionnels.

Interrogé, l’Ordre National a considéré qu’une telle approche purement comptable était en contradiction avec l’article 53 du Code de Déontologie sur le respect du tact et de la mesure.

Quant à la jurisprudence, qu’elle soit disciplinaire ou de la section des assurances sociales, confirmée à plusieurs reprises par le Conseil d’Etat, elle n’a jamais fixé de pourcentage ou de barème au-delà duquel le tact et la mesure ne seraient plus respectés.

L’analyse exhaustive des décisions permet en effet de démontrer que ces juridictions apprécient cette notion a cas par cas, non seulement par référence au tarif conventionnel, mais également au regard des circonstances de l’espèce : notoriété du médecin, nature des soins dispensés, difficultés de l’intervention, information apportée aux patients, caractère systématique du dépassement.

Les tribunaux se sont peu intéressés à la question du montant des honoraires médicaux et, à notre connaissance, seul un arrêt de la Cour de Cassation du 30 Juin 1992 énonce : « Aucune disposition légale applicable au contrat médical ne fait dépendre dans son principe, le droit du praticien à une rémunération, d’une détermination préalable de celle-ci ; le Tribunal d’Instance a justement considéré qu’il appartient au juge de déterminer le montant des honoraires dus au praticien, eu égard à l’étendue des services fournis et à sa qualité professionnelle ».

On voit donc que, comme l’a toujours rappelé le Conseil National de L’Ordre dans plusieurs circulaires ou lettres, la notion de tact et de mesure doit s’apprécier pour chaque cas d’espèce.

Il ne pourra donc jamais s’agir de la fixation d’un barème ni même de fourchette, ce qui n’exclut pas l’obligation faite à chaque médecin d’informer préalablement ses patients du niveau des honoraires, et de faire état de ces informations par affichage dans sa salle d’attente.
 

En conclusion


Si l’on peut expliquer le légitime désir des organismes d’assurance maladie de voit chiffrer de façon précise les limites à ne pas dépasser dans la fixation des honoraires, on comprend aussi que la mise en place d’un tel barème serait contraire à l’esprit et à la lettre de l’article 53 du Code de Déontologie Médicale.

Cette notion doit rester de la responsabilité du médecin et les abus éventuels de l’appréciation des instances disciplinaires.

Lorsque ce droit à dépassement est le fruit de la reconnaissance d’une notoriété, comme tel était le cas de l’ancien DP, ou des nouvelles conditions d’accès au secteur 2, la liberté d’honoraires avec respect du tact et de la mesure se justifie.